mercredi 21 mars 2007

Mindanao : un long conflit de terres

L'histoire de cette grande île du Sud ressemble beaucoup à celle de Jolo. Mais son présent est un peu différent. Le principal groupe rebelle de Mindanao, le Front Islamique de Libération Moro (MILF), est en négociations depuis 2001 avec le gouvernement. Et la situation est plus pacifique qu'à Jolo, bien sûr.
Le samedi 11 mars dernier, j'ai rencontré le chef de ce mouvement du MILF, Ibrahim Hadj Murad (photo ci-contre). Dans son camp de Darapatan, près de la ville de Cotabato, sur l'ouest de l'île, celui-ci s'étend sur cinq villages, soit plusieurs kilomètres carrés. Il a alors confirmé une information obtenue la veille par l'un des responsables des négociations dans le gouvernement: Manille vient de proposer au MILF de leur offrir "le droit à l'autodétermination ", et de constituer une région fédérale spéciale et musulmane sur ces terres d'origine du peuple "moro".

Ce peuple "moro", comme l'ont appelé les Espagnols, est de confession musulmane depuis le 14 e siècle, bien avant l'arrivée des catholiques. Il se bat depuis plus de 40 ans pour retrouver une certaine indépendance sur leurs terres d'origine, et contre l'arrivée massive des catholiques du Nord. Cette politique de migration interne, voulue par Manille, a provoqué un renversement de la structure démographique et religieuse, et fait des moro musulmans un peuple minoritaire sur ses terres d'origine : de 76% de la population de Mindanao en 1903, ils n'en représentaient en 1990 plus que 19% (chiffres cités par Salomone Kane, dans La Croix et le Kriss). Les catholiques ont également racheté des terres aux musulmans, que ceux-ci estiment à présent être leur "domaine ancestral". (Ci-dessus: un soldat de l'armée du MILF, dans le camp de Darapatan)
Et toutes les tensions sur l'île de Mindanao tournent autour de ces terres. 120 000 personnes sont mortes à Mindanao depuis les années 70 à cause de ce conflit , dont 20% sont des civils. Et 2 millions de personnes ont été déplacées.


Une "région autonome et musulmane" a été créée sur une frange ouest de l'île en 1996, grâce à l'accord de paix signé par l'ancien groupe rebelle MNLF. Malgré cela, le combat a continué, mené par le nouveau-MNLF, ce MILF. Pour eux, cette "région autonome" n'intègre pas toutes les "terres ancestrales", et l'autonomie -notamment financière-, n'est pas suffisante.

MINDANAO, OU LA SICILE TROPICALE
Depuis 2001, le MILF a signé un accord de cessez-le-feu, et s'est assis à la table des négociations. Pourtant, ces négociations étaient dans l'impasse depuis septembre, ce qui a relancé des combats sporadiques, et entraîné, par exemple, le déplacement de centaines de personnes le 5 mars dernier (photo ci-dessus et ci-contre, dans un camp de réfugiés, près de Midsayap).
Cette proposition est donc arrivée, comme l'a dit le responsable des négociations dans le gouvernement, au moment où ils étaient au bord du gouffre : "quand on n'a plus le choix, on arrête de réfléchir, et on trouve une nouvelle solution", confiait Rudy Rodil, le 10 mars dernier.

Cette proposition est inédite, depuis plus de trente ans de négociations entre le gouvernement et les différents groupes rebelles musulmans. Elle a eu de quoi réjouir, de manière contenue toutefois, le chef du MILF : "oui, nous sommes prêts à accepter cette proposition d'autodétermination, confirmait Ibrahim Murad dans son QG. Mais la ratification définitive devra être faite par le peuple moro, par un réferendum, par exemple". Une leçon de gestion démocratique, ou en tout cas un discours qui le laisse croire.

Mais c'est plutôt de l'autre côté que les obstacles risquent d'empêcher la création d'une région fédérale: dans l'armée, déjà, qui est impliquée depuis des dizaines d'années dans ce conflit, et qui aurait perdu environ 40 000 soldats. Une armée très forte et qui détient un grand pouvoir sur cette île du fait de ces tensions. Un pouvoir qu'elle ne lâchera pas facilement.
C'est également dans le pouvoir en place à Mindanao, même musulman, que cette refonte institutionnelle ne risque pas d'être très bien vue. La gestion y est clanique, et montre à quel point Mindanao ressemble à la Sicile: la famille Ampatuan, par exemple, truste presque tous les postes de responsabilités de cette région autonome actuelle. Le Parrain, Andal, âgé de 65 ans, est le gouverneur de la région. Sur les 22 villes de cette région, 18 sont dirigées par un membre de sa famille. Redistribuer les cartes et les territoires risque de ne pas être complètement de leur avis.
Alors, comment va être accueillie cette proposition d'autonomie dans quelques mois, au moment des négocations, par ces différents acteurs.
C'est un pari bien difficile à faire. Et il peut y avoir beaucoup de retournements avant la création de cette région fédérale et musulmane, dans le sud-ouest des Philippines. ( En cadeau, le sourire des enfants du camp de réfugiés de Midsayap. En photo, et en vidéo à la suite. )