jeudi 22 novembre 2007

Manille, où l'on interdit la contraception

Lourdes n'est pas très éduquée, mais il y a un raisonnement qu'elle a intégré : on ne peut pas nourrir 7 enfants avec 5 euros par jour. Pourtant, telle est sa situation aujourd'hui. Elle le savait, mais la différence est qu'elle n'a pas pu l'empêcher. Car comme tous les habitants de Manille, elle n'a pas pu recevoir de contraceptifs des services publics pendant les sept dernières années.

En l'an 2000, le maire de Manille, Jose Atienza, a interdit tous les contraceptifs "artificiels" dans les centres de santé de la ville: préservatifs, pilule, stérilets. A la place, les travailleurs sociaux devaient faire la promotion des méthodes naturelles de contraception : calcul des jours de fertilité, interruption du coït, abstinence... Selon la directive N° 003 publiée alors : "La ville encourage la procréation responsable et le planning familial naturel, non seulement comme une méthode, mais comme un moyen d’éveil et de promotion de la culture de la vie. Et ainsi, la ville décourage l’utilisation de méthodes de contraception artificielle" Cette politique est directement inspirée des thèses du Vatican, et du clergé local, particulièrement conservateur. Pour Jose Atienza, qui est président de l'association ecclésiastique Pro-Life Philippines, "une famille nombreuse est une famille heureuse", et il allait dans les quartiers pauvres, récompenser les familles les plus nombreuses. Empêcher la procréation est un acte péché, selon lui. Il refusait peut-être de penser à Lourdes.

Lourdes, elle, va à l'église tous les dimanches, peut-être plus depuis que sa situation a empiré. La foi catholique, elle l'a collée au corps comme la majorité des Philippins. Pourtant, arrêter d'avoir des enfants n'a rien d'un péché pour elle. C'est juste une question de survie. "Atienza, il est Pro-Life, car il est riche. Il peut se permettre d'avoir beaucoup d'enfants", dit elle simplement. Lourdes, elle, aurait voulu s'arrêter à quatre enfants. Et c'est aussi ce que lui a conseillé son médecin.

L'exemple de Lourdes pourrait sembler juste tragique si cela était un cas isolé. Le problème est qu'il s'est répété des milliers de fois dans la capitale philippine, qui compte déjà les quartiers les plus pauvres de la région, et surtout, ceux à la densité de population la plus forte au monde.















Le gouvernement national ne fait rien pour éviter de telles situations, au contraire. La Présidente Gloria Arroyo, dont on pourrait s'attendre à une certaine sensibilité sur le sujet en tant que femme, suit littéralement la voie de l'Eglise sur le sujet, et ne fait que favoriser ces méthodes naturelles de contraception. Aucun fonds n'existe au niveau national pour appliquer un planning familial plus large. Les seuls qui distribuaient des préservatifs ou des pilules dans les quartiers pauvres étaient l'USAID, qui ont été gentiment et définitivement chassés cette année.

"Le problème n'est pas moral, il est économique", explique l'ancien ministre de la santé, Alberto Romualdez. Actuellement, vous avez près de 2 millions d'enfants qui naissent chaque année. Cela veut dire 2 millions de nouvelles places à créer dans les crèches, dans les hôpitaux. Cette pression démographique saigne notre système". Les Philippines comptent déjà 90 millions d'habitants - la 12e population au monde-, et si la moyenne est de 3,1 enfants par femme, les familles pauvres ont en moyenne 5,9 enfants par femme.


Lourdes ira au tribunal. Pour témoigner des effets qu'a eu cette politique pendant sept ans, pour demander qu'on respecte son doit à choisir sa contraception. Une dizaine de femmes de quartiers pauvres vont en effet porter plainte devant la Cour Suprême, contre le maire Atienza, qui a fini son mandat en mai dernier, pour non-respect de leur droit à la contraception. Elles sont appuyées pour cela par l'ONG de défense des femmes Likhaan et le Centre pour les droits de la reproduction, basé aux Etats Unis. Si l'ancien maire, devenu ministre, n'est pas condamné, on peut au moins espérer que cela créé un débat dans un pays si profondément catholique. Mais qui a besoin de se libérer de l'influence d'un clergé très conservateur.













Pour écouter l'histoire de Lourdes et les positions de tous les acteurs au niveau national, voici un documentaire sur RFI. Ainsi qu'un résumé des enjeux en quelques chiffres .

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