samedi 24 février 2007

Jolo : une île en rébellion depuis 400 ans

L'Occident a découvert l'île de Jolo en 2000, quand le groupe Abou Sayyaf a commencé à kidnapper des touristes, puis des journalistes étrangers. Cette terre est en fait le centre d'une rébellion bien plus ancienne. Depuis que les espagnols catholiques sont arrivés dans l'archipel, ces îles de l'extrême sud-ouest des Philippines résistent. Car Jolo a une longue histoire, bien plus longue que Manille. Elle remonterait au 14e siècle, quand les premiers arabes ont apporté l'islam sur l'île. Depuis lors, la province de Sulu, dont Jolo est la capitale, constitue un sultanat, respecté dans la région, et qui perdure jusqu'à aujourd'hui. Manille, à cette époque, n'était qu'un village, alors que Jolo était déjà une ville importante, un port essentiel sur la route entre la Chine et les Moluques.
La guerre contre les Espagnols a commencé en 1576, quand ceux-ci ont colonisé l'archipel et lui ont donné son nom, les Philippines. Mais les habitants de Sulu se battront pendant trois siècles, et le sultant n'acceptera de devenir le vassal de l'Espagne qu'en 1878, vingt ans avant que les Espagnols ne soient délogés des Philippines par les Etats-Unis.
Le sultanat relancera la guerre pendant treize ans contre les Américains, jusqu'en 1911, avant que les Philippines ne deviennent indépendants en 1946.

Depuis, la rébellion continue dans les 8 îles que compose la province de Sulu, et particulièrement à Jolo. Dans les années 70, un groupe musulman et laïc, le Front de Libération Nationale et Moro, prend la tête du mouvement séparatiste contre le pouvoir de Ferdinand Marcos. Celui-ci instaure la loi martiale en 1974, et bombarde Jolo. La guerre durera pendant 16 ans, jusqu'à la signature de la paix en 1990, et la création d'une région autonome musulmane dans tout le sud-ouest des Philippines en 96. Mais depuis ce moment-là, c'est le groupe Abou Sayyaf, pour le coup vraiment islamiste et jihadiste, qui a pris le relais.

Aujourd'hui, plus de 5000 militaires philippins se battent sur l'île de Jolo, pour abattre environ 200 combattants d'Abou Sayyaf, selon l'armeé. Ils sont aidés par la logistique de l'armée des Etats-Unis, qui a posté également une centaine d'hommes sur l'île. Tant de moyens déployés sur une île de 60 km de large. Certes où la jungle est épaisse, certes face à des combattants "agiles et vifs, habitués à la jungle et immunisés contre ses dangers", comme le reconnaît le général des Marines Juancho Saban, commandant dans la partie Nord. Mais une des questions que je me pose après avoir passé quatre jours sur cette île est celle-ci: l'armée philippine, et surtout l'armée américaine, veulent-elles vraiment éradiquer ce groupe islamiste et effacer toute menace dans un sud musulman en perpétuelle agitation ? Un tel déséquilibre dans les moyens devrait en finir avec Abou Sayyaf. Mais Manille a besoin de contrôler ces provinces aux tentations indépendantistes. Les Etats-Unis ont fait depuis 2002 des Phillippines leur base avancée contre le terrorisme en Asie du sud-est. Chose qui serait impossible dans la plupart des pays aux alentours, comme l'Indonésie et la Malaisie musulmanes, et qui serait difficile à justifier sans la menace d'Abou Sayyaf, qui est accusé d'établir des liens avec Al Qaeda.
Géopolitique assez complexe. Que je ne cherche pas à expliquer, mais à décrypter.

Ainsi, pour essayer de comprendre ce qui se déroule dans cette province au coeur de la rébellion, je vous propose déjà ce reportage photo, réalisé ce mois-ci pendant quatre jours, accompagné par l'armée : en ville ; en patrouille sur les lieux où ils ont tué le chef d'Abou Sayyaf, en septembre dernier; et dans les camps de Marines au bord de la mer... où l'on voit que ces Philippins ne manquent jamais d'humour.














Et pour vous projeter à Jolo sans prendre le risque de vous faire kidnapper, je vous propose donc deux reportages: un reportage écrit,d'abord, puis surtout un documentaire de 20 minutes , les deux diffusés par RFI. Bon voyage !