mardi 12 juillet 2011

Un dernier message pour dire au revoir



Quand j'ai commencé ce blog, il y a près de 5 ans, je m'étais promis de ne pas tomber dans un travers trop courant et de parler de ma vie personnelle, qui n'intéresse que peu de monde sur la toile. Mais voilà qu'il me faut user de la première personne pour vous annoncer mon départ. Il est temps de refermer cet Oeil des Philippines, que j'ai ouvert un jour de décembre 2006, pour raconter ce que j'ai vu en revenant d'un premier reportage émouvant, dans une région dévastée par un Super Typhon.

En 5 ans, j'aurai vadrouillé dans tous les coins de cet archipel, rencontré les mineurs d'or en deuil après l'écroulement d'une galerie dans les montagnes du nord, ainsi que les familles déplacées par le conflit de Mindanao, ou les rebelles repentis de l'île "terroriste" de Jolo. Mais derrière ces tragédies, j'aurai à chaque fois vu naître des sourires, une joie résiliente qui rend les Philippins si magiques et attachants. Leur manière de dire, sûrement, qu'il y a toujours une raison de rire.


Un jour, à Manille, j'ai trouvé un T-shirt où il est écrit : "Sanay na sa crisis. Filipinas Matibay". Ce qui signifie "Tellement habitués à la crise... Les Philippins résisteront". J'ai immédiatement acheté ce T-shirt, et il ne me quitte plus. Il résume bien qui ils sont.

Car il y a aussi des raisons d'espérer, et c'est ce qu'on découvre en vivant dans cet archipel, champion du monde de la féminisation des cadres, ou des centres d'appels, de l'entraide, parfois,  et de la détention en toute liberté, toujours !

Et c'est cette joie inné des Philippins, ce rire permanent, qui les rend si attachants. Je ne pensais jamais, il y a 5 ans, que j'aurais autant de mal à partir.

Je préfère à présent vous laisser avec ce diaporama de visages et de sourires. Le plus beau trésor des Philippines.


Et je vous invite maintenant à suivre mon voyage, au travers de ce regard sur mon nouveau pays : 






mercredi 8 juin 2011

Les Philippines, le seul pays au monde à interdire le divorce

Il y a des réalités qui explosent les clichés. Quand on parle en France de fermeture d'esprit et de résistance au modernisme sociétal,  on a vite fait de citer un pays : l'Arabie Saoudite. Et plus largement, " tous ces pays du Golfe qui vivent encore au Moyen-Âge, et oppressent leurs femmes". Mais on est loin de penser que le plus grand obscurantisme religieux peut venir d'un pays très occidentalisé, et surtout, CATHOLIQUE.

Voici donc l'histoire des Philippines, bientôt le seul pays au monde à interdire à des époux de divorcer (les députés de Malte devrait bientôt voter la légalisation du divorce, après le référendum favorable du 29 mai). 

Il est difficile pour nous d'imaginer les effets d'un tel blocage pour des époux. Selon la loi philippine, la seule solution pour pouvoir se séparer complètement, et se remarier, est d' "annuler" le mariage. Concrètement, effacer d'un coup de chiffon toutes les années passées en couple, en prouvant que ce mariage n'aurait jamais dû avoir lieu : car le mari était impuissant, car l'une des personnes a été forcées à se marier, ou la technique utilisée dans 85% des cas aujourd'hui, car l'une des personnes, ou les deux, sont "psychologiquement incapables" d'être mariées.

Cela veut dire que non seulement les époux, qui sont en général en pleine détresse émotionnelle dans le meilleur des cas, voire en déchirement total dans le pire, doivent en plus passer devant un psychologue, qui devra leur dire qu'ils sont "irrémédiablement incapables" de recommencer leur vie. En gros, votre cause est désespérée, vous n'avez plus qu'à vous morfondre dans votre misère émotionnelle. Merci la culture du châtiment et du martyr catholique ! 

Et c'est pourtant le calvaire qu'est en train de vivre Jennifer, une jolie femme de 30 ans, qui a subi, pendant 6 ans, la violence aveugle de son mari. "Il n'y a pas un jour où il ne m'a pas battu", confie-t-elle, les larmes aux yeux. Puis est venu le viol. 

Et malgré les preuves évidentes et accablantes de sa souffrance matrimoniale, cette violence ne peut pas être une raison pour se séparer de son mari. Selon la loi, les époux doivent rester ensemble. Quand j'ai présenté le cas de cette femme à un  responsable de haut niveau du clergé, il m'a répondu, sans ciller : "Le divorce ne résoudra en rien le problème des violences conjuguales, il ne fera que le multiplier ! Car si la femme part, le mari prendra une autre femme, et il la tapera à nouveau. Il faut que l'Etat soigne cet homme d'abord."
Il y a dèsfois, je m'interroge pourquoi on demande à des hommes qui n'ont pas le droit de se marier, leur opinion sur le divorce. Pourtant, malheureusement, dans cette société philippine, les prêtres ont encore une très forte capacité de nuisance. Et une trop large influence auprès des députés. Et il ne faut pas oublier que les prêtres, comme les députés, sont des hommes. Et qu'ils n'ont en général rien à gagner à autoriser le divorce.

Pour écouter l'histoire de Jennifer, et celle du combat pour la légalisation du divorce, suivez-moi dans ce reportage diffusé sur RFI. 

Pour aller plus loin, vous pouvez aussi lire le témoignage de cette femme, qui est passée par toutes les étapes de cette annulation.
Ainsi que les détails de la proposition de loi sur le divorce, déposée par un parti féministe.

Enfin, pour aller plus loin que le cliché, voici les règles qui prévalent dans le monde musulman, par rapport au divorce. Beaucoup plus avancé qu'on peut l'imaginer.


vendredi 15 avril 2011

Libye : Ces Philippins prêts à se sacrifier pour garder leur travail

Ils sont 15 000 Philippins à avoir fait un pari périlleux : celui de refuser le billet d'avion qui leur était offert pour rentrer se réfugier dans leur pays. Non, à la place, ils ont préféré rester dans ce pays en guerre, courber le dos en espérant que ce conflit s'estompe, et qu'ils puissent continuer à gagner leur vie, paisiblement, calmement. Survivre.  Et renvoyer, un par un, les dollars à leur famille.
Telle est l'histoire de ces OFW dans le monde, Overseas Filipino Workers trop souvent considérés comme des héros dans l'archipel, et qui en ont malheureusement la trempe. Jusqu'au martyr.

Une expression philippine exprime en quelques mots le sacrifice de ces migrants : "Kapit Sa Patalim". "S'en sortir en s'agrippant à la lame d'un couteau".
Le gouvernement philippin a tout fait, ou presque, pour les convaincre de partir. 15 000 ont déjà fui la Libye grâce à de nombreuses aides gouvernementales. La moitié, donc, seulement. En comparaison, les quelque 500 Français qui se trouvaient en Libye sont partis dans la première semaine du conflit,  grâce à un Airbus sans escale. 
Les autres Philippins, eux, infirmières ou ouvriers, ont considéré qu'il était trop risqué de tout quitter en Libye, leur travail et leurs avantages sociaux. Ils ne savaient pas s'ils retrouveraient cette opportunité après la guerre. Pour tenter de comprendre cette logique qui semble tellement irrationnelle, il faut intégrer la pression que ces travailleurs émigrés subissent de la part de leurs familles, qui ont souvent pris l'habitude de vivre grâce à ces revenus. La maison, les frais d'hospitalisation, l'éducation des enfants : tous ces besoins primaires sont, dans beaucoup de familles nombreuses philippines, payées grâce aux mandats de "Western Union". Quand on prend cela en compte, on commence alors à comprendre comment un maçon peut décider de rester, en ce moment, dans une base militaire libyenne pour travailler. 

 Ils sont plus de 9 millions de Philippins à vivre et travailler à l'étranger, dont près de 2 millions dans cette zone du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord en pleine effervescence. Il est malheureusement fort à parier que ce ne sera pas la dernière fois qu'on parlera de ce sacrifice des travailleurs migrants philippins.
   
Venez écouter ces Philippins revenus ces jours-ci, et ceux qui expliquent pourquoi ils restent, par ce reportage.

jeudi 3 mars 2011

WOMAN SOUL : Dans la peau des transsexuelles philippines


Elles n'ont jamais accepté le sexe qui leur a été attribué à leur naissance. Elles savent, depuis qu'elles ont une conscience, qu'elles sont nées femmes dans un corps d'homme.

Mais pour faire reconnaître leur identité sexuelle, elles ont dû se battre, contre leur famille qui les a généralement rejetées, contre la société qui voulait les cloitrer dans un rôle de danseuses ou de chanteuses, et maintenant, elles veulent se battre contre les institutions pour faire passer une loi contre les discriminations aux Philippines.

Nous avions commencé une histoire sur la liberté dont jouissent les femmes transsexuelles aux Philippines, et nous avons fini par découvrir, derrière les masques, un ensemble de profils de femmes qui se battent, et une situation qui n'a rien d'acquise.

C'est, au bout de près d'un an de travail à décrypter ces dédales de tabous, créés entre autres par l'importation de la religion catholique, que nous présentons cette exposition multimédia.

Romain Rivierre, photographe professionnel, leur donne un visage, alors que j'ai voulu présenter leur histoire, à la première personne, par un ensemble d'interviews. Elles y parlent sans détour de leur lutte pour devenir aux yeux des autres ce qu'elles sont depuis toujours dans leur intimité : des femmes accomplies.

Woman Soul est présentée à L'Alliance Française de Manille, entre le 8 et le 22 mars.
Cette exposition multimédia est soutenue par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Pour aller plus loin, vous pouvez lire le long reportage que nous avons fait précédemment dans Paris Match.



jeudi 3 février 2011

Les victimes de Marcos enfin indemnisées

Elle aura attendu 25 ans avant que l'on reconnaisse officiellement qu'elle a été torturée. Trinidad Herrera était l'une des leader du syndicat de travailleurs de Tondo, appelé Zoto, interdit sous le régime de loi martiale de la dictature de Marcos. Courageuse, elle appelait régulièrement les pauvres de son quartier à manifester, à demander de meilleurs salaires.
Mais un jour, après l'un de ces appels, les sbires du régime lui sont tombés dessus. Elle passera alors un mois dans une prison militaire, interrogée, torturée avec des fils électriques faisant passer du courant dans tout son corps. Puis finalement, relâchée, comme si de rien était.

Rien, pendant 25 ans. Il aura fallu qu'une cour américaine, basée à Hawaï, demande la répartition de plus de 7,5 millions de dollars, confisqués à un proche de Marcos, en faveur de Trinidad et de plus de 7000 autres victimes de tortures et violations, pour que leur souffrance soit enfin prise en compte.

Le gouvernement philippin, lui, n'a jamais jugé nécessaire d'indemniser qui que ce soit. Corazon Aquino, qui a succédé à Ferdinand Marcos, est pourtant partie dès le début à la quête des plus de 5 milliards de dollars détournés par le clan. Mais en 25 ans, le milliard de dollar récupéré a été attribué au programme de réforme agraire.

Cela pourrait cependant changer : la Suisse, qui a restitué, en 2003, 684 milliards de dollars cachés dans ses coffres par les Marcos, a exigé qu'une partie de cet argent aille aux victimes. Et les députés devraient voter dans les mois qui viennent une loi afin de distribuer 160 millions d'euros à plus de 10 000 victimes du régime. En espérant que cet argent leur arrive avant qu'ils succombent après une si longue et injuste attente. Trinidad Herrera, elle, a déjà 69 ans.

Pour suivre l'histoire de Trinidad et pour en savoir plus sur cette affaire, voici un article paru dans Le Temps. Pour entendre le sujet et le récit émouvant de Trinidad, voici un reportage sur RFI.

mardi 11 janvier 2011

La folie du Jésus Noir s'empare de Quiapo

Ils voulaient tous l'approcher, le toucher, ou juste le caresser. Cette statue convoitée serpentait à travers une mer de têtes bouillonnantes et de bras déployés, se frayait un chemin difficile au milieu d'un quartier populaire en émois, par ce jour saint.
Nous étions dimanche 9 janvier. Comme chaque année à cette date, le Jésus Sauveur faisait son apparition exceptionnelle dans les rues de Quiapo, l'un des plus anciens quartiers de Manille, à la densité de population qui excède déjà le supportable. Et défiait les croyances, venait catalyser tous les espoirs d'un peuple aussi désespéré que spirituel.



Ce Jésus n'est pas seulement sauveur. Il a été sauvé. Sauvé des flammes de ce bateau embrasé qui le transportait depuis Acapulco, au 17e siècle, et n'a pu terminer son parcours jusqu'à Manille, l'ancienne ville coloniale espagnole. Cette statue de bois aurait miraculeusement survécu au brasier, et il ne reste à cette effigie, comme marque de cette incroyable épreuve ,que ce teint hâlé : Jésus est noir ! On l'appelle à Quiapo "The Black Nazarene," et il drraine sûrement plus de foules que Bob Marley à ses grandes heures.

Se rendre dans cette cohue tient donc de l'exploit olympique, si encore les Olympiades incluaient cette épreuve inhumaine de circuler dans une foule compressée, qui converge dans des rues étroites vers un petit char.

La police affirme que plus de 7 millions de personnes se sont en tout rendues dans les rues du quartier de Quiapo, lors de cette procession à rythme d'escargot, qui a duré plus de 12h. Toutes ces personnes venaient pour une raison : toucher ce Jésus miraculé, et par là-même, être touché de la grâce de ce miracle. Certains pensent par ce geste être guéri de leur maladie, d'autres, plus prosaïquement, gagner au loto.

Tous sont remplis d'un grand espoir qui les poussent à défier la raison et flirter avec un grand danger dans cette obstination : cette année, 700 personnes ont été soignées pour évanouissement, fractures, ou autres blessures. Les autres années, plusieurs personnes sont mortes, en essayant d'être sauvées.

Quand elles ne peuvent pas monter sur les autres fidèles pour aller toucher directement la statue, elles envoient des serviettes qui entrent en contact, et leur sont renvoyées. Le contact indirect est, semble-t-il, accrédité par les plus hautes autorités fédérales de ce sport spirituel.

Et beaucoup d'autres églises de Manille, mais aussi d'autres villes environnantes, viennent également avec leur Jésus noir, censé apporter son lot de miracles. Bien sûr, les plus valeureux suivent toute cette procession ... pieds nus, et célèbrent le passage de l'effigie en criant "VIVA" !



Entrez dans la foule et sa passion...





Et les chanceux qui sont arrivés à toucher le Seigneur en portent quelques stigmates... d'épuisement.