jeudi 10 juin 2010

Le retour des Marcos, ou l'histoire qui se répète

Aux Philippines, les dirigeants se succèdent, et se ressemblent énormément. Jusqu'à la limite du clonage !
Le 10 mai dernier, 24 ans après la chute du dictateur le plus fameux du pays, c'est son fils qui a été élu dans un raz de marée : Ferdinand Marcos "Junior" a reçu plus de 12 millions de voix en son nom (le même que son père, donc, vous aurez compris). Et a été ainsi propulsé comme sénateur, l'une des fonctions les plus élevées du pays et marche-pied institutionnel vers la présidence. 12 millions de voix: cela représente un votant sur trois. C'est pas rien, vous en conviendrez. On est bien loin du vote d'un groupe de résistants de la dernière heure, de nostalgiques de l'ancien régime, ou même de l'erreur de calcul. Non, 24 ans après la fin d'un régime qui a vidé les caisses de l'Etat et réprimé violemment l'opposition, les Philippins ont clairement choisi : on fera à nouveau confiance aux Marcos.

(Photo : Ferdinand "Bongbong" Marcos Jr, fils de l'ancien président et dictateur, commence un mandat de sénateur de 6 ans. Sur les traces de son père, dont il ne renie pas l'héritage)

Cela peut paraître tout simplement improbable pour des Européens. On a bien coupé la tête à la femme de Louis XVI pour avoir eu des relations trop intimes avec un despote. Les Philippins gèrent leurs dirigeants musclés différemment : non seulement ils ont élu le fils de chair de ce despote, mais ils viennent pour le même prix d'élire sa veuve : Imelda Marcos a été élue députée, à 80 ans et tous ses bijoux, ou presque.

Cela révèle plusieurs choses : d'abord, les Philippins, qui ont vécu sous la colonie espagnole et américaine pendant 400 ans, n'ont vraiment rien à voir avec ces derniers. Ils sont vraiment asiatiques, et différents. Les Mc Do et les églises, c'est juste pour faire semblant.
Surtout, cela illustre beaucoup de traits inconnus sur les réalisations de ce cher dictateur, Ferdinand Marcos, ainsi que sur la grande mansuétude des Philippins.

Oui, car pour nous Occidentaux démocrates et talentueux gestionnaires, Marcos est le parfait exemple de leader qui confond deniers publics et RIB à son nom. Même les Suisses sont d'accord pour le condamner - aujourd'hui. C'est vrai qu'ils ont une réflexion un peu plus lente sur ces questions là, question d' "intérêts".

Mais aux Philippines, le régime de Marcos a laissé d'autres souvenirs : ceux d'un temps où l'électricité était moins cher et à un prix plus stable, où les Philippines étaient auto-suffisants en riz, alors qu'ils sont aujourd'hui le plus grand importateur mondial. Et puis des réalisations, comme les infrastructures routières et culturelles, qui sont toujours en place.

Nous Français, on aurait appelé cet homme, un "despote éclairé". Certes, c'est une expression périmée chez nous. Mais pas ici. Car au moins "les hommes politiques comme Marcos ont des projets. Et même s'ils détournent de l'argent public, ils font avancer le pays", me disent ses supporters. Alors que maintenant, la corruption est toujours aussi répandue, mais personne ne fait rien pour le pays." En quelque sorte, le retour des Marcos est aussi une conséquence de l'inefficacité de ses successeurs.

Et puis il y a le pardon et l'oubli. L'oubli, d'abord, car les Philippins ont une mémoire historique courte, et les intellectuels sont peu nombreux, ceux qui peuvent aider à perpétuer la mémoire des crimes du régime de Marcos envers ses opposants. L'histoire est d'autant plus difficile à écrire qu'aucun membre du clan n'a été condamné aux Philippines. Imelda continue donc à parader avec toutes ses dorures dans les grands salons de l'aristocratie locale. Les industries philippines n'ont jamais investi dans la guillotine, vraiment pas rentable.

Et ce pardon, certainement légèrement catholique. "A la différence des autres asiatiques, comme les Japonais ou les Coréens, qui n'oublient jamais les maux du passé, les Philippins ont le pardon très facile, analyse un professeur de science politique. Et ils considèrent donc qu'on ne peut pas condamner les enfants pour les pêchés de leurs parents".

Donc il n'est pas si grave que l'un des sénateurs les mieux élus du pays, avec presque autant de voix que le Président, s'appelle Ferdinand Marcos. Aux Philippines, on a décidé de lui offrir une seconde chance.

Découvrez le profil de ce fils héritier, Ferdinand Bongbong Marcos, dans ce portrait familial publié dans LE TEMPS


PS : la politique philippine joue des scénarios qui semblent souvent inspirés des blockbuster américains. Et en tant que critique de ce dernier épisode, je dirais qu'il est assez bien joué d'élire le fils de Marcos en même temps que le fils d'Aquino. Les deux parents étaient les pires ennemis il y a 25 ans, quand le père Aquino s'est fait assassiner par les sbires du régime de Marcos. Aujourd'hui, on prend les mêmes, et le film recommence. Que se passera-t-il ? L'émotion est à son comble à Manille.