mardi 10 avril 2007

Les Christ d'un jour

Se flageller pour remercier Dieu, se crucifier pour bênir sa famille. Cela paraît tellement contradictoire avant de se rendre sur place, ici, à 80 km de Manille et de ses centres commerciaux dorés et flambants de modernité.

A San Pedro, la vie a pris sans doute un différent cours quand pour la Pâque de 1962, un certain Ramon Navarro a "rejoué" la crucifiction du Christ. Il a arpenté la route de 2 km du village de San Pedro, qu'il a appelée "Via Crucis", et a monté la petite colline à son extrêmité pour s'y faire crucifier. Depuis, tous les ans, des dizaines de personnes revivent ces scènes de douleur. Des pénitents au visage masqué se flagellent avec des bouts de bois, puis plusieurs autres montent sur la croix, les paumes et les pieds cloués à ses branches.

Nous sommes ici dans la complète tradition qui se contente d'un étonnant mimétisme et dans laquelle, et c'est le plus ironique, l'Eglise est totalement dépassée. Elle ne soutient pas cette célébration locale, car selon elle, "seul le Christ a été crucifié, et il est le seul à pouvoir nous sauver". Ce qui n'est pas totalement faux, pour une fois je suis bien d'accord avec eux. Mais ce ne sont pas des fanatiques qui font cela, cela aussi est original. Juste de simples villageois qui croient corps et âme à la tradition qu'ils ont toujours vu se perpétuer. Un exemple est marquant: celui du principal Christ de cette année, et de beaucoup d'autres en fait, que j'ai interviewé à sa descente de croix (alors que je suis sûr qu'il n'y avait personne pour le faire il y a 2007 ans ! scoop).
Ruben Enaje est un peintre d'affiches de cinéma, de 46 ans. Et c'était la 21e fois qu'il se faisait crucifier. "Je le ferai tant que mon corps le permettra", a-t-il affirmé. Respect. Et témoignage photo.

Une personne fait de petites entailles pour faire sortir le sang, quand les pénitents se frappent de leurs bout de bois






Les enfants sont curieux, rigolent, et miment même parfois ces flagellations...







La fiesta filipina a beau être pleine de dévotion, elle n'en est pas moins une célébration, un moment de rigolade, un jour férié, une fête quoi ! Alors quand on a lavé ses légères plaies et le sang, les pénitents demandent et sont fiers de poser pour la photo. C'est sérieux, mais pas vraiment non plus ...
















Un vieil homme
porte sa croix avec foi, le long des 2 km du chemin de croix, une heure avant la procession officielle. Je ne l'ai pas vu monter sur cette croix. Au bout du chemin, un pénitent s'agenouille devant le "Golgotha" où sont plantées les trois croix noires. Et sur lesquelles monteront, dans une représentation assez théâtrale avec des gardes romains et des femmes pleureuses, les 8 "Christ du jour". Devant le regard de milliers de personnes, et de centaines de médias locaux et étrangers venus voir une tradition spectaculaire.



Le peintre Ruben Enaje, est monté pour la 21e fois sur la croix,
pour remercier Dieu de bênir sa famille e
t son travail.


Reportage écrit et photo sur le site de RFI,
et reportage audio de la crucifiction pour la Radio Suisse Romande