mardi 12 juillet 2011

Un dernier message pour dire au revoir



Quand j'ai commencé ce blog, il y a près de 5 ans, je m'étais promis de ne pas tomber dans un travers trop courant et de parler de ma vie personnelle, qui n'intéresse que peu de monde sur la toile. Mais voilà qu'il me faut user de la première personne pour vous annoncer mon départ. Il est temps de refermer cet Oeil des Philippines, que j'ai ouvert un jour de décembre 2006, pour raconter ce que j'ai vu en revenant d'un premier reportage émouvant, dans une région dévastée par un Super Typhon.

En 5 ans, j'aurai vadrouillé dans tous les coins de cet archipel, rencontré les mineurs d'or en deuil après l'écroulement d'une galerie dans les montagnes du nord, ainsi que les familles déplacées par le conflit de Mindanao, ou les rebelles repentis de l'île "terroriste" de Jolo. Mais derrière ces tragédies, j'aurai à chaque fois vu naître des sourires, une joie résiliente qui rend les Philippins si magiques et attachants. Leur manière de dire, sûrement, qu'il y a toujours une raison de rire.


Un jour, à Manille, j'ai trouvé un T-shirt où il est écrit : "Sanay na sa crisis. Filipinas Matibay". Ce qui signifie "Tellement habitués à la crise... Les Philippins résisteront". J'ai immédiatement acheté ce T-shirt, et il ne me quitte plus. Il résume bien qui ils sont.

Car il y a aussi des raisons d'espérer, et c'est ce qu'on découvre en vivant dans cet archipel, champion du monde de la féminisation des cadres, ou des centres d'appels, de l'entraide, parfois,  et de la détention en toute liberté, toujours !

Et c'est cette joie inné des Philippins, ce rire permanent, qui les rend si attachants. Je ne pensais jamais, il y a 5 ans, que j'aurais autant de mal à partir.

Je préfère à présent vous laisser avec ce diaporama de visages et de sourires. Le plus beau trésor des Philippines.


Et je vous invite maintenant à suivre mon voyage, au travers de ce regard sur mon nouveau pays : 






mercredi 8 juin 2011

Les Philippines, le seul pays au monde à interdire le divorce

Il y a des réalités qui explosent les clichés. Quand on parle en France de fermeture d'esprit et de résistance au modernisme sociétal,  on a vite fait de citer un pays : l'Arabie Saoudite. Et plus largement, " tous ces pays du Golfe qui vivent encore au Moyen-Âge, et oppressent leurs femmes". Mais on est loin de penser que le plus grand obscurantisme religieux peut venir d'un pays très occidentalisé, et surtout, CATHOLIQUE.

Voici donc l'histoire des Philippines, bientôt le seul pays au monde à interdire à des époux de divorcer (les députés de Malte devrait bientôt voter la légalisation du divorce, après le référendum favorable du 29 mai). 

Il est difficile pour nous d'imaginer les effets d'un tel blocage pour des époux. Selon la loi philippine, la seule solution pour pouvoir se séparer complètement, et se remarier, est d' "annuler" le mariage. Concrètement, effacer d'un coup de chiffon toutes les années passées en couple, en prouvant que ce mariage n'aurait jamais dû avoir lieu : car le mari était impuissant, car l'une des personnes a été forcées à se marier, ou la technique utilisée dans 85% des cas aujourd'hui, car l'une des personnes, ou les deux, sont "psychologiquement incapables" d'être mariées.

Cela veut dire que non seulement les époux, qui sont en général en pleine détresse émotionnelle dans le meilleur des cas, voire en déchirement total dans le pire, doivent en plus passer devant un psychologue, qui devra leur dire qu'ils sont "irrémédiablement incapables" de recommencer leur vie. En gros, votre cause est désespérée, vous n'avez plus qu'à vous morfondre dans votre misère émotionnelle. Merci la culture du châtiment et du martyr catholique ! 

Et c'est pourtant le calvaire qu'est en train de vivre Jennifer, une jolie femme de 30 ans, qui a subi, pendant 6 ans, la violence aveugle de son mari. "Il n'y a pas un jour où il ne m'a pas battu", confie-t-elle, les larmes aux yeux. Puis est venu le viol. 

Et malgré les preuves évidentes et accablantes de sa souffrance matrimoniale, cette violence ne peut pas être une raison pour se séparer de son mari. Selon la loi, les époux doivent rester ensemble. Quand j'ai présenté le cas de cette femme à un  responsable de haut niveau du clergé, il m'a répondu, sans ciller : "Le divorce ne résoudra en rien le problème des violences conjuguales, il ne fera que le multiplier ! Car si la femme part, le mari prendra une autre femme, et il la tapera à nouveau. Il faut que l'Etat soigne cet homme d'abord."
Il y a dèsfois, je m'interroge pourquoi on demande à des hommes qui n'ont pas le droit de se marier, leur opinion sur le divorce. Pourtant, malheureusement, dans cette société philippine, les prêtres ont encore une très forte capacité de nuisance. Et une trop large influence auprès des députés. Et il ne faut pas oublier que les prêtres, comme les députés, sont des hommes. Et qu'ils n'ont en général rien à gagner à autoriser le divorce.

Pour écouter l'histoire de Jennifer, et celle du combat pour la légalisation du divorce, suivez-moi dans ce reportage diffusé sur RFI. 

Pour aller plus loin, vous pouvez aussi lire le témoignage de cette femme, qui est passée par toutes les étapes de cette annulation.
Ainsi que les détails de la proposition de loi sur le divorce, déposée par un parti féministe.

Enfin, pour aller plus loin que le cliché, voici les règles qui prévalent dans le monde musulman, par rapport au divorce. Beaucoup plus avancé qu'on peut l'imaginer.


vendredi 15 avril 2011

Libye : Ces Philippins prêts à se sacrifier pour garder leur travail

Ils sont 15 000 Philippins à avoir fait un pari périlleux : celui de refuser le billet d'avion qui leur était offert pour rentrer se réfugier dans leur pays. Non, à la place, ils ont préféré rester dans ce pays en guerre, courber le dos en espérant que ce conflit s'estompe, et qu'ils puissent continuer à gagner leur vie, paisiblement, calmement. Survivre.  Et renvoyer, un par un, les dollars à leur famille.
Telle est l'histoire de ces OFW dans le monde, Overseas Filipino Workers trop souvent considérés comme des héros dans l'archipel, et qui en ont malheureusement la trempe. Jusqu'au martyr.

Une expression philippine exprime en quelques mots le sacrifice de ces migrants : "Kapit Sa Patalim". "S'en sortir en s'agrippant à la lame d'un couteau".
Le gouvernement philippin a tout fait, ou presque, pour les convaincre de partir. 15 000 ont déjà fui la Libye grâce à de nombreuses aides gouvernementales. La moitié, donc, seulement. En comparaison, les quelque 500 Français qui se trouvaient en Libye sont partis dans la première semaine du conflit,  grâce à un Airbus sans escale. 
Les autres Philippins, eux, infirmières ou ouvriers, ont considéré qu'il était trop risqué de tout quitter en Libye, leur travail et leurs avantages sociaux. Ils ne savaient pas s'ils retrouveraient cette opportunité après la guerre. Pour tenter de comprendre cette logique qui semble tellement irrationnelle, il faut intégrer la pression que ces travailleurs émigrés subissent de la part de leurs familles, qui ont souvent pris l'habitude de vivre grâce à ces revenus. La maison, les frais d'hospitalisation, l'éducation des enfants : tous ces besoins primaires sont, dans beaucoup de familles nombreuses philippines, payées grâce aux mandats de "Western Union". Quand on prend cela en compte, on commence alors à comprendre comment un maçon peut décider de rester, en ce moment, dans une base militaire libyenne pour travailler. 

 Ils sont plus de 9 millions de Philippins à vivre et travailler à l'étranger, dont près de 2 millions dans cette zone du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord en pleine effervescence. Il est malheureusement fort à parier que ce ne sera pas la dernière fois qu'on parlera de ce sacrifice des travailleurs migrants philippins.
   
Venez écouter ces Philippins revenus ces jours-ci, et ceux qui expliquent pourquoi ils restent, par ce reportage.

jeudi 3 mars 2011

WOMAN SOUL : Dans la peau des transsexuelles philippines


Elles n'ont jamais accepté le sexe qui leur a été attribué à leur naissance. Elles savent, depuis qu'elles ont une conscience, qu'elles sont nées femmes dans un corps d'homme.

Mais pour faire reconnaître leur identité sexuelle, elles ont dû se battre, contre leur famille qui les a généralement rejetées, contre la société qui voulait les cloitrer dans un rôle de danseuses ou de chanteuses, et maintenant, elles veulent se battre contre les institutions pour faire passer une loi contre les discriminations aux Philippines.

Nous avions commencé une histoire sur la liberté dont jouissent les femmes transsexuelles aux Philippines, et nous avons fini par découvrir, derrière les masques, un ensemble de profils de femmes qui se battent, et une situation qui n'a rien d'acquise.

C'est, au bout de près d'un an de travail à décrypter ces dédales de tabous, créés entre autres par l'importation de la religion catholique, que nous présentons cette exposition multimédia.

Romain Rivierre, photographe professionnel, leur donne un visage, alors que j'ai voulu présenter leur histoire, à la première personne, par un ensemble d'interviews. Elles y parlent sans détour de leur lutte pour devenir aux yeux des autres ce qu'elles sont depuis toujours dans leur intimité : des femmes accomplies.

Woman Soul est présentée à L'Alliance Française de Manille, entre le 8 et le 22 mars.
Cette exposition multimédia est soutenue par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Pour aller plus loin, vous pouvez lire le long reportage que nous avons fait précédemment dans Paris Match.



jeudi 3 février 2011

Les victimes de Marcos enfin indemnisées

Elle aura attendu 25 ans avant que l'on reconnaisse officiellement qu'elle a été torturée. Trinidad Herrera était l'une des leader du syndicat de travailleurs de Tondo, appelé Zoto, interdit sous le régime de loi martiale de la dictature de Marcos. Courageuse, elle appelait régulièrement les pauvres de son quartier à manifester, à demander de meilleurs salaires.
Mais un jour, après l'un de ces appels, les sbires du régime lui sont tombés dessus. Elle passera alors un mois dans une prison militaire, interrogée, torturée avec des fils électriques faisant passer du courant dans tout son corps. Puis finalement, relâchée, comme si de rien était.

Rien, pendant 25 ans. Il aura fallu qu'une cour américaine, basée à Hawaï, demande la répartition de plus de 7,5 millions de dollars, confisqués à un proche de Marcos, en faveur de Trinidad et de plus de 7000 autres victimes de tortures et violations, pour que leur souffrance soit enfin prise en compte.

Le gouvernement philippin, lui, n'a jamais jugé nécessaire d'indemniser qui que ce soit. Corazon Aquino, qui a succédé à Ferdinand Marcos, est pourtant partie dès le début à la quête des plus de 5 milliards de dollars détournés par le clan. Mais en 25 ans, le milliard de dollar récupéré a été attribué au programme de réforme agraire.

Cela pourrait cependant changer : la Suisse, qui a restitué, en 2003, 684 milliards de dollars cachés dans ses coffres par les Marcos, a exigé qu'une partie de cet argent aille aux victimes. Et les députés devraient voter dans les mois qui viennent une loi afin de distribuer 160 millions d'euros à plus de 10 000 victimes du régime. En espérant que cet argent leur arrive avant qu'ils succombent après une si longue et injuste attente. Trinidad Herrera, elle, a déjà 69 ans.

Pour suivre l'histoire de Trinidad et pour en savoir plus sur cette affaire, voici un article paru dans Le Temps. Pour entendre le sujet et le récit émouvant de Trinidad, voici un reportage sur RFI.

mardi 11 janvier 2011

La folie du Jésus Noir s'empare de Quiapo

Ils voulaient tous l'approcher, le toucher, ou juste le caresser. Cette statue convoitée serpentait à travers une mer de têtes bouillonnantes et de bras déployés, se frayait un chemin difficile au milieu d'un quartier populaire en émois, par ce jour saint.
Nous étions dimanche 9 janvier. Comme chaque année à cette date, le Jésus Sauveur faisait son apparition exceptionnelle dans les rues de Quiapo, l'un des plus anciens quartiers de Manille, à la densité de population qui excède déjà le supportable. Et défiait les croyances, venait catalyser tous les espoirs d'un peuple aussi désespéré que spirituel.



Ce Jésus n'est pas seulement sauveur. Il a été sauvé. Sauvé des flammes de ce bateau embrasé qui le transportait depuis Acapulco, au 17e siècle, et n'a pu terminer son parcours jusqu'à Manille, l'ancienne ville coloniale espagnole. Cette statue de bois aurait miraculeusement survécu au brasier, et il ne reste à cette effigie, comme marque de cette incroyable épreuve ,que ce teint hâlé : Jésus est noir ! On l'appelle à Quiapo "The Black Nazarene," et il drraine sûrement plus de foules que Bob Marley à ses grandes heures.

Se rendre dans cette cohue tient donc de l'exploit olympique, si encore les Olympiades incluaient cette épreuve inhumaine de circuler dans une foule compressée, qui converge dans des rues étroites vers un petit char.

La police affirme que plus de 7 millions de personnes se sont en tout rendues dans les rues du quartier de Quiapo, lors de cette procession à rythme d'escargot, qui a duré plus de 12h. Toutes ces personnes venaient pour une raison : toucher ce Jésus miraculé, et par là-même, être touché de la grâce de ce miracle. Certains pensent par ce geste être guéri de leur maladie, d'autres, plus prosaïquement, gagner au loto.

Tous sont remplis d'un grand espoir qui les poussent à défier la raison et flirter avec un grand danger dans cette obstination : cette année, 700 personnes ont été soignées pour évanouissement, fractures, ou autres blessures. Les autres années, plusieurs personnes sont mortes, en essayant d'être sauvées.

Quand elles ne peuvent pas monter sur les autres fidèles pour aller toucher directement la statue, elles envoient des serviettes qui entrent en contact, et leur sont renvoyées. Le contact indirect est, semble-t-il, accrédité par les plus hautes autorités fédérales de ce sport spirituel.

Et beaucoup d'autres églises de Manille, mais aussi d'autres villes environnantes, viennent également avec leur Jésus noir, censé apporter son lot de miracles. Bien sûr, les plus valeureux suivent toute cette procession ... pieds nus, et célèbrent le passage de l'effigie en criant "VIVA" !



Entrez dans la foule et sa passion...





Et les chanceux qui sont arrivés à toucher le Seigneur en portent quelques stigmates... d'épuisement.





mardi 23 novembre 2010

Le massacre de Maguindanao - Un an après, contre l'oubli

La tâche est incommensurable, et l'attente, intenable. 197 personnes sont aujourd'hui accusées d'avoir participé, de près ou de loin, au plus sanglant massacre de l'histoire moderne philippine. 500 témoins devraient être appelés à la barre, la plupart ayant accepté avec un courage fou de dénoncer le clan des Ampatuan.

Les preuves sont accablantes contre ce clan sanguinaire, qui, depuis plus de dix ans qu'il exerçait un pouvoir sans partage sur la province de Maguindanao, avait déjà semé des dizaines de cadavres pour s'assurer le contrôle sans partage de son royaume. Le récent rapport de Human Rights Watch décrit même, dans une précision qui terrifie, les exécutions à la tronçonneuse de membres de la famille d'opposants. "They own the people", "Les gens leur appartiennent". Telle est l'image que ne pouvaient s'empêcher d'avoir les habitants de cette province plongée dans un règle obscur et corrompu des Ampatuan.



Toutes ces preuves, pourtant, ne devraient pas suffire à condamner rapidement la vingtaine de membres de ce clan inculpés pour l'assassinat de 58 personnes. "Un procès normal, qui ne comprend qu'un accusé et qu'une victime, prend en moyenne 5 ans", explique, désolé, Harry Roque, un célèbre avocat des droits de l'homme, et défenseur de 15 plaignants. Les calculs de certains pour donner une date de fin à ce procès, et donc de condamnation, ont abouti à des chiffres à multiples zéros. Terrifiant, absurde.

En ce jour de commémoration du massacre du 23 novembre 2009, la ministre de la Justice a déjà demandé à doubler le nombre d'audiences - en passant d'une audience à deux.par semaine. Mais cela suffira-t-il ? Les veuves des 32 journalistes assassinés, ainsi que des autres victimes, espèrent être encore vivants pour assister à cette condamnation.

Je vous propose de lire le témoignage de l'une de ces veuves, Glenna Legarta, ses espoirs et ses craintes, un an après l'assassinat de son mari.

Voici mon article dans Le Temps.

Photo : Trois veuves de journalistes, assassinés lors du massacre, avec 57 autres personnes. Crédit : Alastair McIndoe

mardi 5 octobre 2010

Les Philippines s'enflamment autour du planning familial



Le débat s'est de nouveau enflammé dans l'archipel philippin. Il n'aura fallu que quelques mots du Président, prononcés en terme choisis depuis l'autre bout du monde, à San Francisco. Une étincelle, à peine, et tout s'est emballé, soudainement.

Benigno Aquino s'exprimait devant des Philippins expatriés de San Francisco, quand une question lui a été posée sur sa positon à propos du planning familial. Benigno Aquino a répondu, de manière diplomatique " The government is obligated to inform everybody of their responsibilities and their choices ( of contraception ). At the end of the day, government might provide assistance to those who are without means if they want to employ a particular method," ("Le gouvernement a l'obligation d'informer chaque personne de ses choix en terme de contraception. Et le gouvernement pourrait ainsi aider ceux qui n'ont pas les moyens d'utiliser la méthode qu'ils désirent" ).

Cette déclaration semblerait a priori inoffensive et loin de toute polémique au sein de toute démocratie libérale séculière, et pour cet archipel philippin dont la constitution a été calquée sur celle des Etats-Unis, et qui s'enorgueillit d'avoir des moeurs politiques très libérales et féministes, en étant le premier pays d'Asie à avoir élu une femme à la tête du pays en 1986.

Libérales, oui, sauf quand il s'agit des questions familiales et sexuelles, où la position dominante est pour l'instant celle tenue par l'Eglise. Ainsi, non seulement l'avortement est totalement proscrit, mais l'accès aux contraceptifs est difficile, et surtout, non-financé par l'Etat. Car le clergé philippin considère encore les préservatifs ou la pilule comme des "méthodes abortives".

Un front vient donc de se constituer, avec d'un côté le clergé qui a menacé avec forme le Président d'"excommunication", et le gouvernement qui essaie de montrer la différence entre avortement et contraception. Au milieu, les médias ont fait la Une de leurs journaux sur ce conflit depuis 10 jours.

Le principal enjeu de cette guerre est le vote de la loi sur le financement du planning familial par l'Etat. Une loi qui a été débattue au Parlement depuis 15 ans, mais toujours opposée avec succès par le clergé.

En attendant, l'archipel continue à voir sa population exploser ; les Philippines comptent aujourd'hui 95 millions d'habitants pour un territoire deux fois moins grand que la France, et l'une des croissances démographiques les plus élevées d'Asie de l'Est, à 2% par an. En 1960, le pays comptait à peine 25 millions d'habitants (cf graphique).










Mais entre temps, les familles les plus pauvres n'ont reçu aucune formation ou aide financière pour contrôler la taille de leur famille, alors que ces foyers pauvres qui ont à peine assez d'argent pour manger, n'ont pas les moyens d'acheter un préservatif à 30 centimes d'euros. Ces familles des bidonvilles ont donc grandi, et de la pauvreté n'a fait que naître plus de pauvreté : les foyers pauvres ont en moyenne 5 enfants, contre 2 enfants dans les familles riches.

A présent, le nouveau Parlement s'apprête à rouvrir les débats et à s'exprimer sur une nouvelle proposition de loi sur le sujet. Ce débat auquel on assiste en ce moment n'est donc qu'un prélude.

Pour comprendre les enjeux de cette question du planning familial, voici quelques liens vers mon travail récent et ancien sur un sujet qui ne cesse de hanter cette société philippine :

- Un article de ce jour dans La Croix, à propos de la guerre entre Aquino et l'Eglise.

- Un documentaire sur les effets de l'interdiction des contraceptifs à Manille

- Un post publié à ce moment, avec le débat qui s'en est suivi dans les commentaires.

N'hésitez pas non plus à donner votre avis ou poster vos commentaires ci-dessous.

vendredi 24 septembre 2010

Le fléau des avortements clandestins



C'est l'histoire de ces femmes qui se cachent pour mourir. De l'interdiction d'un acte qui n'a fait que l'amplifier, et semer la mort quand elle cherche à l'empêcher.

Les Philippines sont l'un des quatre derniers pays au monde à interdire l'avortement, sans aucune exception : que la grossesse soit le résultat d'un viol, d'un inceste, ou que la vie de la mère soit en danger, la femme qui porte ce foetus n'a aucun recours pour interrompre cette grossesse. Pire, elle est passible de plusieurs années de prison si elle le fait



Mais ce puritanisme moral et législatif n'a fait, depuis des dizaines d'années, qu'amplifier ce phénomène : plus de 500 000 avortements clandestins auraient ainsi lieu chaque année, soit deux fois plus que ceux légaux en France, et réalisés à l'ombre de maisons insalubres, grâce à des instruments non-stériles à la source d'infections mortelles, ou en prenant des médicaments abortifs très forts qui entraînent des saignements incontrôlables.

Dans de telles conditions, ce n'est pas seulement la vie du foetus qui est en péril, mais celle de la mère. Plus de 1000 femmes meurent chaque année des suites des complications de ces avortements clandestins.

Un rapport international vient, pour la première fois dresser un tableau sur des conséquences sanitaires et psychologiques de la "criminalisation" de l'avortement. Ce rapport complet, passionnant et alarmant, est le résultat d'un travail d'enquête de deux ans réalisé par l'ONG américaine The Center for Reproductive Rights. Il s'est appuyé sur de nombreux témoignages de femmes qui ont réalisé elles-mêmes leur avortement, de médecins, obstétriciens philippins, et de responsables politiques.

Il cherche à montrer les limites graves du système de santé philippin qui manque de venir en aide à ces femmes désespérées : il n'existe d'abord aucune pilule du lendemain en cas de viol ou d'accident contraceptif, car celle-ci est considérée comme une pilule abortive par le clergé et certains députés. Les médicaments jugés comme essentiels par la profession, comme le Misoprostol, pour évacuer un foetus décédé du ventre de la mère, sont également interdits, et inaccessibles pour la plupart des gynécologues.

Enfin et surtout, certains médecins condamnent moralement ces femmes qui ont recours aux avortements, et arrivent en sang dans leurs services d'urgence. Certains les insultent, les stigmatisent, et négligent leurs soins. Voire les menacent de les dénoncer à la police. Une atteinte basique au droit des femmes à la santé, comme le déclare Melissa Upreti, responsable Asie pour l'ONG Center for Reproductive Rights.

"Malgré les garanties constitutionnelles de liberté religieuse, et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la hiérarchie catholique a remis en cause les droit reproductifs des femmes, dont le droit à l’avortement.
La criminalisation de l’avortement a donc entraîné le gouvernement philippin dans une situation de violation des lois internationales, en mettant la santé des femmes en danger, et en remettant donc en cause le droit des femmes à la santé, à la vie, et à la non discrimination. "

Le clergé, acteur extrêmement influent politiquement et moralement sur ces questions, quant à lui, refuse tout aménagement de la loi :
"L’avortement ne peut pas être défendue, car la vie commence au moment de la conception, soit à l’instant de la rencontre entre le sperme et l’ovule, et nous devons donc protéger cette vie", affirme le Père Melvin Castro, secrétaire général de la commission de la famille et de la vie au sein de la Conférence épiscopale.

Une telle intransigeance qui s'applique également aux cas de viol, pour le prêtre : "Nous ne pouvons pas répondre au crime du viol en commettant un autre crime, celui de tuer le foetus. A la place, nous conseillons toujours à la femme, si elle ne peut garder l’enfant, de le faire adopter "

Pour mieux comprendre ce débat de société, et entendre ces femmes cachées qui ont dû avoir recours à ces avortements, au risque de leur vie, je vous propose d'écouter le documentaire que j'ai réalisé pour RFI.
Vous pouvez également lire mon reportage publié dans LE TEMPS.










dimanche 19 septembre 2010

Début du procès des Ampatuan : vers la fin de l'impunité ?


C'est un événement important qui vient d'avoir lieu dans la salle du tribunal spécial de Manille, mais ce n'est là que le début. Et qui sait si nous en verrons un jour la fin.
Le procès du massacre de Maguindanao vient formellement de débuter par les audiences sur le fond le 8 septembre dernier. Le 23 novembre 2009, 57 personnes avaient été sauvagement assassinées, prises entre les feux d'une guerre de clans politiques à la recherche de leur survie électorale.
Les noms des responsables de cet innommable massacre sont connus : les Ampatuan, seigneurs féodaux au-dessus de toute justice dans cette province, qui ont peu fait pour dissimuler leurs actes, et voulaient juste se débarrasser de l'inconscient membre du clan adverse qui osait se présenter face à eux lors de cette élection démocratique pour le poste de gouverneur de Maguindanao !
Ce procès est donc celui de tout un système plutocratique de clans mafieux, et du pouvoir central qui les soutient.

Mais l'horreur du massacre est aussi grand que l'ampleur de ce procès : plus de 500 témoins devraient être entendus à la barre, pour près de 200 accusés. Les proportions de ce procès, que certains comparent ici à celui de Nuremberg, dépassent largement les capacités du système judiciaire philippin.

Dès le premier jour, la culpabilité de cette famille Ampatuan dans son entier a été révélée au grand jour. Et depuis lors, les implications des responsables nationaux sont détaillése. Les accusations et les preuves pleuvent, comme à l'habitude, dans le système philippin, où les médias font un très bon boulot. Où le Sénat est transformé la moitié du temps en cour de justice médiatique, et les hommes les plus corrompus nommés et couverts de honte.

Mais jamais ce Sénat n'a réussi à transformer ces accusations en condamnations par une Cour de justice formelle, car celles-ci sont soit surchargées, soit corrompues.

Donc il faut espérer que ce nouveau procès mettra en partie fin à ce maux terrible qui a permis à ce massacre d'avoir lieu en plein jour : l'impunité.

Voici les enjeux de ce procès, dans mon article de La Croix